Quel mouillage pour un bateau de croisière?

Mouiller est le moyen indispensable pour visiter les coins les plus sauvages, les plus pittoresques, qui font généralement les buts les plus intéressants des croisières. Passer une ou plusieurs nuit au mouillage dans une petite crique reste l'un des points forts de toute croisière estivale. C'est aussi le moyen le plus simple pour diminuer le budget des croisières. En croisière hauturières, mouiller devient souvent le moyen normal de stationner.

Hélas, je ne compte plus les voiliers que j'ai vu déraper, même dans des conditions de temps normales. Avoir à bord un trousseau de mouillage suffisant et suffisamment bien dimensionnés est une nécessitée absolue pour pouvoir aller à terre ou passer la nuit en toute quiétude. De plus, un voilier peut avoir à faire face à un coup de vent au mouillage, qu'il soit en navigation estivale le long de nos côtes ou beaucoup plus loin. Le trousseau de mouillage est l'assurance vie du bateau!

La législation française oblige tous les bateaux naviguant sous son pavillon à un dimensionnement minimum de son mouillage (voir tableau en annexe, au bas de cette page). Cela ne dispense pas à mon avis de savoir quelles peuvent être les forces en jeux lorsqu'on est au mouillage pour, éventuellement, sur-dimensionner celui-ci par rapport à la législation en fonction de son programme.

L'effort qu'a à subir un bateau au mouillage

L'effort principal auquel est soumis un bateau au mouillage, est l'effort due au vent sur sa surface de fardage. Nous ne tiendrons pas compte ici des autres efforts imposés notamment par les vagues qui sont trop difficile à quantifier. Nous considéreront que le bateau est mouillé dans un endroit le plus abrité possible, pas plus d'environ 1/2 mile de fetch, et avec la bonne longueur de ligne de mouillage. Nous y reviendrons.

Le tableau ci-dessous est basé sur des estimations de l'effort de traction auquel est soumis un bateau en fonction de sa longueur et de la vitesse du vent, développé par l'"American Boat and Yacht Council".

Long. coque (m) Vitesse du vent (noeuds)
15 30 42 60
6.10 41 kg 163 kg 327 kg 654 kg
7.60 57 kg 223 kg 446 kg 890 kg
9.15 80 kg 318 kg 636 kg 1273 kg
10.65 102 kg 409 kg 818 kg 1636 kg
12.20 136 kg 545 kg 1090 kg 2180 kg
15.25 162 kg 727 kg 1455 kg 2910 kg

Ce tableau est une bonne base de départ et est souvent utilisé par nombre d'accastilleurs pour déterminer les besoins d'un bateau en fonction de son utilisation. Par contre il présente un gros inconvénient à mon avis, qui est de ne prendre en compte que la longueur du bateau considéré. Or on sait bien que le fardage peut être très différents entre deux bateau de même taille suivant que l'un aura un haut franc-bord, une cabine de type salon de pont, une timonerie intérieure, une capote enveloppante, etc. Disons que ce tableau est basé sur des moyennes de fardage de voiliers de franc-bord-bord moyen, à rouf bas, sans timonerie et sans capote. D'autre part, ce tableau est valable uniquement pour des monocoques. Un multicoque, particulièrement un catamaran à nacelle aménagée, ou un bateau à moteur peut avoir un fardage très éloigné de ceux retenus pour déterminer ce tableau.

Il peut donc être nécessaire de savoir déterminer soi-même l'effort auquel est soumis son bateau au mouillage. Pour ce faire, il faut prendre la surface frontale du bateau. Pour un monocoque, c'est la largeur maximale de la coque multipliée par la hauteur au-dessus de l'eau du plus haut entre la coque, le rouf, la timonerie ou la capote fixe. Pour un multicoque, on multipliera la largeur de chaque coque par leur hauteur total, on multipliera le résultat par deux et on y ajoutera la surface des bras ou de la nacelle (hauteur des bras ou de la nacelle multipliée par la largeur entre coque). Pour tenir compte du gréement, des équipement de pont, chandeliers, filières, etc. on ajoutera les deux tiers de cette surface (un tiers seulement pour un catamaran à nacelle volumineuse). Enfin, on multipliera le résultat par deux pour tenir compte des mouvements qu'aura le bateau au mouillage qui augmentent de manière importante la surface sur laquelle s'applique le vent. Pour un catamaran doté d'une nacelle épaisse mais courte, on pourra se contenter de multiplier le résultat par 1.75, la différence entre le fardage de face et le fardage de bais étant moins grand.

Il n'y a plus qu'à appliquer à la surface que l'on vient de déterminer, la force induite par le vent en fonction de sa vitesse. Nous utiliserons la célèbre formule de Martin, utilisée par la plus part des architectes navals, qui indique que l'effort en kilo par mètres carrés égale 0.0259 fois le carré de la vitesse du vent en noeuds. L'effort de traction, en kilo, qu'appliquera le vent sur la ligne de mouillage sera donc égal à V (en noeuds) au carré * 0.0259 * surface de fardage (en mètres carrés).

Par exemple, pour mon propre bateau:
- largeur maximum = 3.08 m
- hauteur de rouf = 1.55 m au-dessus de l'eau (le roof est 5 cm plus haut que l'étrave et il n'y a pas de capote)
     3.08 x 1.55  =  4.8 mètres carrés
     2/3 ajouté  =  3.2 mètres carrés
- surface de fardage = 8.0 mètres carrés
- surface de fardage maximum = 16.0 mètres carrés
- effort (kg/m2) = 0.0259 V2 (vitesse du vent en noeuds au carré)
- effort sur le mouillage (kg) = 16.0 * 0.0259 V2

effort effort pour 16 m2
vent de 15 noeuds 5.8 kg/m2 93 kg
vent de 30 noeuds 23.3 kg/m2 373 kg
vent de 42 noeuds 45.7 kg/m2 731 kg
vent de 60 noeuds 93.2 kg/m2 1492 kg
vent de 80 noeuds 165.8 kg/m2 2652 kg
vent de 100 noeuds 259.0 kg/m2 4144 kg

En fonction de votre programme de navigation, vous pourrez choisir que dimensionner votre ligne de mouillage pour une certaine force de vent. Je pense que seul un petit voilier de sortie journalière ne mouillant que pour la durée d'un pic-nique et uniquement par beau temps, pourra se contenter d'un mouillage dimensionnés pour 30 noeuds de vent. Les croiseurs ne naviguant que l'été le long de nos côtes utiliseront les résultats pour 42 noeuds. Ceux qui naviguent toute l'année ou font des grandes croisières, il me semble nécessaire de tabler sur les efforts donnés pour 60 noeuds de vent

Il est fréquent de voir des bateaux hauturiers dont le mouillage principal est dimensionné pour 42 noeuds de vent. Les navigateurs estimant qu'au-delà ils seront mouillé sur deux lignes de mouillages parallèles. C'est vrai et j'aurais certainement moi aussi deux lignes à l'eau dans de telles conditions. D'un autre coté, les efforts augmentes très vite avec l'augmentation de la vitesse du vent. Le tableau nous montre que les efforts sont quasiment double pour 60 noeuds de vent que pour 42 noeuds. Et 60 noeuds peuvent se rencontrer en navigation hauturière. Ce jour là, je ne tiens pas à perdre mon bateau parce que ma chaîne aura 2 mm de pas assez, mon bateau est mon seul bien.

Chaînes et câblots

La chaîne et le câblot devront avoir une résistance à la rupture au moins double à l'effort auquel ils seront soumis. Lorsque les fabricants indiquent une "charge maximum d'utilisation", elle est généralement la moitié de la résistance à la rupture et pourra donc être utilisée telle quelle.

Chaîne Câblot
Diamètre
mm
résistance
à la rupture
kg
charge maxi
d'utilisation
kg
Diamètre
mm
résistance
à la rupture
kg
charge maxi
d'utilisation
kg
6 1800 900 10 1300 650
7 2200 1100 12 1800 900
8 3200 1600 14 2600 1300
10 5000 2500 16 3200 1600
12 7100 3550 18 4100 2050
14 7600 3800 20 5200 2600
22 6000 3000

Pour reprendre l'exemple de mon bateau et de mon programme de navigation, j'ai besoin d'une chaîne et d'un câblot dont la charge maximum d'utilisation est supérieur à 1500 kg (vent de 60 noeuds). Cela me donne une chaîne de 8 mm et un câblot de 16 mm. En fait je suis équipé avec une chaîne de 10 mm (résistance à la rupture 5000 kg) et un câblot de 18 mm (résistance à la rupture 4100 kg). La raison principale est que mon voilier est ancien, il fait 10.50 mètre de longueur de coque pour 9 tonnes de déplacement en pleine charge, donc plutôt étroit et lourd par rapport à sa longueur, et qu'il est gréé en ketch, ce qui entraîne que la formule sous-estime les efforts subits. Il est vrai que cela me met en conformité avec la législation française mais, même si la législation m'avait autorisé à utiliser les dimensions données par la formule, j'aurais tout de même utilisé du 10 et du 18 mm.

Il peut être des cas, les multicoques légers à nacelle volumineuse notamment, où l'usage de la formule peut indiquer une chaîne et un câblot de diamètres supérieurs à ce qu'oblige la législation, qui ne tient compte que de la longueur et du poids du bateau. Dans ce cas je recommande de suivre les prescriptions du calcul. La survie du bateau peut être à ce prix.

Quel trousseau prévoir?

A mon avis, mis à part les petits bateaux destinés à la navigation à la journée qui ne mouillent que pour la durée d'un pic-nique, uniquement par beau temps et ne passant jamais de nuit au mouillage, tout bateau devrait posséder plusieurs ancres, avec les lignes de mouillages associées.

Dés que la croisière côtière est envisagée, et pour les bateau jusqu'à 7.50 mètres environ, il me semble nécessaire de prévoir un mouillage principale et un secondaire. Un bon choix est d'avoir une ancre charrue en ancre principale et une ancre plate ou une charrue un peu plus légère comme mouillage secondaire.

Au-delà, à la fois pour les bateaux plus grands, pour ceux navigants plus loin ou pour ceux navigants toute l'année, une seconde ancre principale est nécessaire. Cela permet à la fois d'avoir une ancre de secours en cas de perte de la première, de faire face au mauvais temps ou de mouiller sur deux ancres dans un mouillage encombré.

Enfin, les bateaux naviguant loin ou toute l'année auront aussi intérêt à prévoir une ancre supplémentaire, dite ancre tempête ou ancre de miséricorde.

Les types d'ancres

Dans tous ces cas il est intéressant d'avoir plusieurs types d'ancres. Beaucoup choisissent une ancre "charrue" en principale et une ancre "plate" en secondaire. La seconde ancre principale peut aussi être du type "plate", ce qui permettra ainsi de choisir la meilleure ancre en fonction du fond.

Les ancres "charrues", type CQR, Bruce, Delta, sont en général de bonne ancres toutes conditions. Elles sont particulièrement efficaces dans la vase et le sable, ainsi que sur les fonds coralliens. Par contre, elles peuvent avoir du mal à descendre au fond s'il y a beaucoup d'algues. Ce sont donc de bonnes ancres principales.

Les ancres "plates", type FOB, Britany, Danforth, sont très efficaces dans le sable et la vase dure mais peuvent chasser dans la vase molle et sont pire que les ancres charrues dans les algues.

Les ancres "à jas" sont probablement les meilleures pour les fonds où prolifèrent les algues ainsi que pour les fonds rocheux. Certain fabricants de ces ancres les prévoient démontables, ce qui résout les problèmes de stockage.

Pour l'ancre "tempête" certains utilisent une ancre "charrue" d'un poids environ double de celle du mouillage principale. Je pense qu'une ancre "à jas" est un bon choix pour cet usage.

Le poids des ancres

Il est très difficile de définir avec exactitude quel poids il faut donner à une ancre pour qu'elle retienne un bateau donné. L'effort auquel sera soumis la ligne de mouillage est fonction, du courant, des vagues et du vent sur le fardage du bateau. Nous avons quantifié l'influence du vent plus haut. Leur puissance d'accrochage au fond sera directement dépendante de la nature du fond, du dessin de l'ancre et de sa résistance propre.

Il existe une règle assez simple pour connaître le poids de l'ancre principale adaptée à un monocoque présentant un fardage moyen. Elle est communément utilisée dans les pays où aucune réglementation n'oblige un poids d'ancre donné, les pays anglo-saxons par exemple. Les ancres "charrues" doivent peser environ 1.5 kg par mètres de longueur de coque. Les ancres "plates" peuvent être un peu plus légères dans le cas où elles ne sont pas utilisées en mouillage principal, 1.5 kg par mètres de longueur à la flottaison semble raisonnable. Les ancres "à jas" doivent être plus lourdes, de 2 à 3 kg par mètres de longueur à la flottaison.

Je suis bien évidement partisan de choisir le poids d'ancre le plus important entre cette règle et la réglementation française. Il y a des cas où seul le poids de l'ancre lui permettra de descendre et de tenir au fond.

Je dispose de trois ancres, en attendant de me procurer une ancre à jas démontable, une CQR de 45 livres (20 kg), une 16 kg et une 14 kg. La CQR me sert d'ancre principale, la Britany de 16 kg est sur le second mouillage principale (elle est d'un poids suffisant d'après la règle des 1.5 kg par mètre de longueur) et la 14 kg est en plus pour le cas où je devrais, par exemple, porter un mouillage secondaire sur l'arrière.

Pour déterminer le poids minimal de l'ancre principale adaptée à un bateau présentant beaucoup de fardage par rapport à sa longueur, comme un multicoque, il faut d'abord dimensionner la ligne de mouillage puis choisir l'ancre qui serait adaptée à un monocoque demandant cette ligne. A priori d'après quelques études rapides que j'ai pu faire, il semble que l'ancre charrue ou plate principale devrait avoir environ 2 kg par mètres de longueur de coque ce qui est normal car le bateau s'éloigne de beaucoup des moyennes d'après les quelles elle a été définie.

Constitution des ligne de mouillage

J'aime bien mouiller, si je le peux, par des fonds de 7 à 10 mètres. J'essaye de ne jamais mouiller par des fonds plus faible, sauf si ceux-ci me laisse à une assez grande distance de la terre. Je dispose de 50 mètres de chaîne sur mon mouillage principale que je met à l'eau systématiquement. Au-delà de 10 mètres de hauteur d'eau, j'ajoute suffisamment de câblot pour maintenir une longueur de ligne de 5 fois la profondeur d'eau. Seul un mouillage encombré peut me forcer à mouiller seulement 3 fois la profondeur, mais je ne le fait que par très beau temps. Sinon je préfère aller mouiller plus loin, quite à ce que la profondeur soit plus grande. Si le vent force, disons à partir de 20 à 25 noeuds de vent, je rajoute du câblot pour atteindre 7 fois la hauteur d'eau. J'ai environ 100 mètres de câblot sur un tambour sur le pont, ce qui permet de voir venir.

Je pense qu'il est assez dangereux que la ligne de mouillage principale ne comprenne qu'une faible longueur de chaîne. A ce titre, la longueur préconisée par la législation française, deux fois la longueur de coque, me semble être un strict minimum. Le poids de la ligne de mouillage, donc sa longueur traînant sur le fond est aussi importante que le poids de l'ancre pour la tenu du mouillage. Dans le cas où on ne peut disposer que d'une faible longueur de chaîne, il est bon de prévoir, par des fonds coralliens ou parsemés de roches, des petits flotteurs le long du câblot pour que celui-ci ne risque pas de s'user sur les têtes de roche.

Ma seconde ligne de mouillage, qui est prévue avec l'ancre plate de 16 kg, est constitué de 25 mètres de chaîne avant le câblot. Comme elle ne doit servir que pour affourcher lorsqu'il y a beaucoup de vent, le câblot ne risque pas de toucher les têtes de roche, ou pour empenneler, le problème de longueur de chaîne ne se pose pas.

Annexe:

Les obligations de la législation française

Tout bateau naviguant sous pavillon français doit avoir à bord, en fonction de sa taille et de son poids, le mouillage minimum indiqué dans le tableau ci-dessous:

Longueur et poids du navire
mètres - tonnes
Mouillage principal
poids ancre
kg
diamètre chaîne
mm
diamètre câblot
mm
pour L<6.50 ou P<1.0 8 6 10
de L>=6.50 ou P>=1.0
à L<7.50 ou P<2.0
10 8 14
de L>=7.50 ou P>=2.0
à L<9.00 ou P<3.0
12 8 14
de L>=9.00 ou P>=3.0
à L<10.50 ou P<4.5
14 8 14
de L>=10.50 ou P>=4.5
à L<12.50 ou P<8.0
16 10 18
de L>=12.50 ou P>=8.0
à L<16.00 ou P<12.0
20 10 18
de L>=16.00 ou P>=12.0
à L<18.00 ou P<16.0
24 12 22
de L>=18.00 ou P>=16.0
à L<20.00 ou P<20.0
34 12 22
de L>=20.00 ou P>=20.0
à L<25.00 ou P<30.0
40 14 24
pour L>25.00 ou P>320.0 60 16 28

La réglementation précise en outre les points suivants:
- Les poids d'ancre sont donnés pour des ancres à grande pénétration type "charrues" ou "plates".
- Un deuxième mouillage est obligatoire pour les bateaux de plus de 9 mètres.
- La ligne de mouillage principale doit comporter une longueur de chaîne minimum de 8 m pour les bateaux de moins de 9 m et égale à deux fois la longueur de coque au-dessus.
- La longueur totale de la ligne de mouillage doit être au moins de 5 fois la longueur du bateau.
- La ligne de mouillage secondaire doit comporter une longueur de chaîne minimum de 8 m.

Ces prescriptions sont des absolus minimum qu'il est bon d'améliorer en fonction de son bateau et de son programme de navigation.

© 2004 Stéphane Demerliac - Tous droits réservés.

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